Le selfie est cette pratique photographique très en vogue d’autoportrait pris à bout de bras avec son smartphone.
Les réseaux sociaux permettent une large diffusion instantanée.
Si cette mode est utilisée à des fins de sensibilisation, par exemple avec le partage de selfie de femmes non maquillées dans le cadre de la campagne #NoMakeUp, elle connaît également certains travers.
L’intimité physique des personnes se retrouve très exposée et on assiste à une course à l’originalité qui flirte avec le mauvais gout. Le Tumblr de selfies pris dans des cimetières en atteste.
Mais le selfie n’est pas que sociétal et sa dimension juridique n’est pas à négliger.
Le selfie met en scène des personnes privées, la question du droit à l’image est donc importante.
De plus, le selfie peut être le fruit d’un effort créatif et est protégé, à ce titre, par le droit d’auteur.
Droit à l’image
* Le droit à l’image ne figure pas dans la loi en tant que tel mais découle de l’article 9 du code civil qui prévoit que chacun a droit au respect de sa vie privée.
A priori, l’individu qui capture sa propre image le fait dans le respect de sa propre liberté individuelle.
A lui cependant de mesurer le risque qu’il prend en rendant publique sa propre photo, laquelle peut être copiée et utilisée pour le mettre en situation délicate…
Mais bien souvent, l’internaute ne se met pas seul en situation…
La prise d’un « selfie de groupe » laisse imaginer le consentement tacite des tiers, du fait de la pratique conviviale du selfie.
Toutefois, la fixation comme la publication de la photo nécessite l’autorisation des personnes qui en sont le sujet. Un écrit précisant les conditions d’utilisation de l’image est nécessaire, que celle-ci ait été prise dans un lieu privé ou dans un lieu public.
Ainsi, la publication non autorisée d’un selfie est une atteinte au droit à l’image et peut conduire les juges civils à octroyer des dommages et intérêts conséquents.
On obtiendra rapidement le retrait de la publication en saisissant le juge des référés ; sauf si celui-ci a été fait dans le but d’illustrer l’actualité (selfie lors de cérémonie des oscars…) ou réalisé en compagnie de personnes publiques qui prennent volontairement la pose (et non à leur insu).
* Si la publication du selfie porte atteinte à votre vie privée, vous pouvez agir au pénal en déposant plainte dans les 6 années qui suivent la diffusion litigieuse.
L’article 226-1 du Code Pénal prévoit que celui qui prend, publie ou transmet une photo d’une personne se trouvant dans un lieu privé, sans son consentement , risque jusque 1 an d’emprisonnement et de 45 000€ d’amende.
Il faut donc qu’il n’y ait pas eu lors de la prise de photo un consentement explicite ou implicite…car sinon le consentement à la prise de photo s’étend à la publication ( ch crim 16.3.2016).
En qualité de victime de la publication, il peut donc y avoir un intérêt stratégique à agir au civil ou au pénal.
Droit d’auteur
Le droit d’auteur protège les œuvres de l’esprit sous condition d’originalité, (article L.111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle). Sont comprises les œuvres photographiques dans la liste non exhaustive de l’article L.112-2 Code de la Propriété Intellectuelle.
Le selfie est une œuvre photographique donc protégée par le droit d’auteur s’il y a un effort créatif, c’est-à-dire s’il y a parti pris esthétique et arbitraire.
Les tribunaux ont eu l’occasion de rappeler que l’on ne peut invoquer la liberté de création artistique pour utiliser l’image d’un tiers sans son consentement.
En cas de publication autorisée du selfie , la problématique de son utilisation va se heurter aux pratiques des réseaux sociaux..
L’article L.131-3 du Code de la Propriété Intellectuelle prévoit que la cession implicite des droits d’auteur n’est pas possible, il faut un écrit précisant les limites de temps et de territoire, mais les réseaux sociaux prévoient des clauses contractuelles contraires.
En effet, les Conditions Générales d’Utilisation de Facebook et autres réseaux sociaux prévoient une licence non-exclusive de propriété intellectuelle sur tout le contenu : « licence non exclusive, transférable, sous-licenciable, sans redevance et mondiale pour l’utilisation des contenus de propriété intellectuelle que vous publiez sur Facebook ou en relation avec Facebook ».
La licence non-exclusive profite à Facebook, mais également à tous ses utilisateurs dès lors que le profil est public.
La plupart des réseaux sociaux fonctionne en grande partie par le partage de photographies et notamment de selfies, ce qui ne rend pas incohérente cette licence qui facilite le partage des photos au sein d’une communauté.
Cette licence prend fin à la suppression du contenu ou du compte, « sauf si votre compte est partagé avec d’autres personnes qui ne l’ont pas supprimé » (CGV Facebook), et la conservation des données malgré leur suppression est annoncée à environ 90 jours maximum.
Compte tenu de l’entrée en vigueur le 25 Mai 2018 du Règlement Général pour la Protection des Données (RGPD), les réseaux sociaux ont complété leurs Politiques de Confidentialité.
Il est désormais obligatoire d’informer leurs utilisateurs des modalités de traitement de leurs données personnelles.
Il est donc plus évident désormais, de comprendre comment sont utilisées vos données et mettre son profil en mode privé.
Il vous est aisé également de demander le retrait de photos pour lesquelles vous n’avez pas mesuré l’impact et le nombre de partage…
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De manière générale, évitez de jouer avec l’image des autres…et pensez à ce que l’on pourrait faire à votre égard.
Des sanctions civiles, pénales ou …amicales ne sont jamais agréables.
Professionnels de la photo, ayez les mêmes reflexes…et n’hésitez pas à consulter un avocat.
Jeanine AUDEGOND, avocat au Barreau de Lille
Chloé MICHEL, étudiante à SKEMA.